Conjuring : les Warren étaient-ils des sauveurs, ou des escrocs ?

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Ed et Lorraine Warren, les personnages principaux de la franchise Conjuring, ont existé dans la vraie vie. Respectivement démonologue et médium, ils ont enquêté sur des centaines d’affaires paranormales et auraient même délivré certaines personnes du mal. La question brûle les lèvres et même les titres de presse : étaient-ils en fait des escrocs ? Ça dépend à qui on demande et où l’on regarde.

À chaque fois qu’un Conjuring sort au cinéma, les articles et les vidéos “Mais quelle est la véritable histoire d’Ed et Lorraine Warren ?” inondent nos suggestions Google et les réseaux sociaux. Et c’est normal : ils sont les chasseurs de démons les plus célèbres au monde. Ils fascinent autant qu’ils inspirent le doute, d’autant plus que dans la franchise d’horreur, ils sont joués par Vera Farmiga et Patrick Wilson, deux acteurs reconnus du genre, et par ailleurs des sex symbols. 

Dans la vraie vie, les Warren ont fait du paranormal leur marque, non seulement de fabrique, mais aussi identitaire. Ce sont des vedettes et pourquoi pas des capitalistes de l’horreur, depuis leurs premières enquêtes dans les années 1950 jusqu’à aujourd’hui, post mortem.

Mais alors, qui sont les vrais Ed et Lorraine Warren ?

Point biographique pour celles et ceux qui débarquent et rappel pour le reste qui maîtrise : Ed et Lorraine Warren sont respectivement démonologue et médium. Ils ont enquêté sur des affaires paranormales célèbres comme la maison d’Amityville, mais aussi sur des affaires rendues célèbres par eux, comme celle de la famille Perron (Conjuring : Les dossiers Warren), le cas Annabelle, la famille Smurl (Conjuring : L’heure du jugement), et bien d’autres encore.

Selon le site de la New England Society For Psychic Research, une organisation de recherche sur les sciences occultes fondée par les Warren en 1952 – et aujourd’hui dirigée par leur fille Judy et leur gendre Tony Spera – il y en aurait 100 autres. Certains articles en évoquent 4000, d’autres 10 000. Peu importe le nombre, Ed et Lorraine Warren avaient un mode opératoire calibré, et savaient très bien ce qu’ils cherchaient. 

Dans les films de la franchise Conjuring, on pourrait croire qu’ils cherchaient à apaiser les âmes et les familles tourmentées. Mais si on en croit les récits beaucoup moins romantisés des articles et des enquêtes sur les Warren, ils cherchaient davantage la célébrité, et tout ce qui va avec.

Être, ou ne pas être, chasseur de fantômes

Qu’on décide d’y croire ou non, chasseur de fantômes est un métier – du moins, c’est un titre. Mais sa réalité n’est absolument pas représentée dans la franchise Conjuring. River-James Philippe, alias River-James Phantom sur les réseaux sociaux, est chasseur de fantômes depuis un peu plus de dix ans, et les films sur les Warren, il ne les “supporte pas”. “Mon intégrité professionnelle me donne envie de hurler face à l’écran”, a-t-il dit avant d’ajouter : “Ed et Lorraine Warren ont basé toute leur carrière et fortune sur des mensonges. Iels ciblaient des gens en détresse, parfois sans qu’on leur ait rien demandé”. 

Pour prendre l’exemple de l’artefact le plus célèbre des Warren, la poupée Annabelle, revenons un instant sur sa backstory. Sauf que l’histoire s’arrête déjà ici, car celle racontée par les Warren est bourrée d’incohérences, comme le rappellent River-James ainsi que les youtubeurs Marie Mad Line et Novalexandre dans leur livre L’imposture Warren. Le couple aurait en réalité été, et c’est bien commode, les seuls témoins connus de cette affaire.

Une seule version, une seule parole. D’autant plus que l’histoire d’Annabelle ressemble étrangement à l’épisode La poupée vivante de la série La Quatrième Dimension sorti en 1963, qui parle d’une maman du nom d’Annabelle qui offre à sa fille une poupée parlante. Son design est d’ailleurs similaire à celui des films de la franchise Conjuring. Le lien, impossible à prouver ; la coïncidence, intéressante. En tout cas, des incohérences – et des mensonges – dans les récits des Warren, il y en a plein. 

La poupée Annabelle dans Conjuring
© New Line

En 2023, Netflix a sorti Le diable pour alibi, un documentaire sur la célèbre affaire surnommée “Le diable m’a poussé à le faire” dans laquelle Arne Cheyenne Johnson, accusé du meurtre de son propriétaire, a plaidé la possession démoniaque lors de son procès en 1981. Un an plus tôt, le frère de sa petite-amie, David Gratzel, aurait été possédé et Arne Cheyenne Johnson aurait demandé au démon de le prendre à sa place, ce qui l’aurait donc poussé à tuer son propriétaire. C’est de cette histoire dont il est question dans Conjuring 3 : Sous l’emprise du diable.

Dans le documentaire Netflix, le vrai David Glatzel, ses frères et Arne Cheyenne Johnson – qui a été reconnu coupable mais est aujourd’hui sorti de prison –  témoignent de ce qu’il se serait vraiment passé. Tous n’ont pas la même version des faits, mais les quatre tombent d’accord sur une chose : les Warren étaient des escrocs. D’après leurs déclarations, le couple avait proposé à la famille Glatzel d’écrire un livre sur leur histoire, leur promettant que ça les rendrait millionnaires. Résultat : les Warren auraient touché 81 000 dollars contre 4500 pour les Glatzel, et leur histoire a été détournée et rendue plus effrayante – besoin marketing. 

Les Warren et Arne Cheyenne Johnson dans Conjuring 3
© New Line

Avec les Warren, et à cause de certaines émissions et films d’horreur, les exorcismes, les enquêtes paranormales ainsi que les chasses aux fantômes sont devenus des spectacles plus que des pratiques. Sauf que rien de tout ça n’est spectaculaire dans la vraie vie. Les têtes des victimes ne tournent pas à la vue d’un prêtre exorciste, et River-James nous l’a confié : “Il ne se passe jamais rien” pendant les chasses.

Tout ce qu’on y vit est quasi toujours débunkable. Et s’il y a bien une chose que les Warren ne faisaient pas, c’était débunker. Ils sont connus pour en avoir fait des caisses et sont accusés, entre autres, d’avoir fait de la détresse des victimes leur gagne-pain.

Or le but d’une chasse aux fantômes, ce n’est pas d’affoler en criant au démon, mais d’apaiser.Lorsque l’on travaille chez des particuliers, il faut garder en tête que hantise réelle ou pas, il y a une forme de détresse et bien souvent de la peur. Je suis là pour calmer un peu ça. Dans un second temps, si réels phénomènes étranges il y a, mon but va être de les enregistrer et documenter. Puis de les analyser avec la plus grande neutralité possible”, nous a expliqué River-James.

Les Warren : des vedettes, de l’argent, par tous les temps

Si on dit que chasseur de fantômes est plus un titre qu’un métier, c’est parce que la chasse au fantôme à proprement parler ne rapporte rien. River-James nous l’explique : on ne monnaye pas une intervention, ça ne se fait pas. La seule rémunération qu’il touche est générée par les vidéos Youtube qu’il en fait quand il est autorisé à filmer – et ce n’est pas grand chose. Il exerce un autre métier à côté. De leur côté, les Warren ne demandaient aucune rémunération non plus. Ils n’ont pas directement touché d’argent de la part des victimes, mais ils ont capitalisé sur elles

Si certains articles estiment que la fortune des Warren s’élevait autour des 90 millions de dollars, aucune source fiable ne permet de vérifier ce montant. Ce qui est par contre vérifiable, c’est tout ce que les Warren ont monétisé quant à leur travail. D’abord : les conférences et les livres, comme celui sur la famille Glatzel cité plus haut. Ensuite : les droits d’auteur. Comme le rappelle The Hollywood Reporter, Lorraine Warren était consultante sur le premier film Conjuring, et aurait touché une certaine somme d’argent pour les droits de leurs histoires.

Mais surtout : le musée de l’occulte de Ed et Lorraine Warren, qui se trouve à l’arrière de leur ancienne maison dans le Connecticut. C’est ce fameux endroit où le couple entassait les objets “maudits” trouvés sur les lieux de leurs enquêtes qu’on voit dans les films, et dans lequel il ne faut surtout rien toucher. Avant qu’il ne soit fermé en 2019 à cause des nuisances que les visites provoquaient dans le voisinage, il était ouvert au public, et évidemment payant. Le 5 septembre 2015, Lorraine Warren et Tony Spera – Ed étant décédé en 2007 – ont même organisé “Une soirée avec Annabelle” : un banquet suivi d’une visite guidée du musée pour la modique somme de 159 dollars. 

On aurait pu croire qu’à la mort de Lorraine Warren en 2019, ce genre d’événements s’éteindrait avec elle. Mais non. Début août 2025, tout juste à temps pour la sortie de Conjuring : L’heure du jugement le 5 septembre aux Etats-Unis, la maison et le musée des Warren ont été rachetées par le comédien américain Matt Rife et par le créateur de contenu spécialisé dans le paranormal Elton Castee. Ensemble, ils ont prévu de rouvrir le site au public.

Le plan est d’en faire une attraction, où pour 1999 dollars, il est possible de dormir dans la maison, d’utiliser un “kit d’investigation paranormal” et de, bien sûr, visiter le musée. “On se demande quand tout cela s’arrêtera”, a réagit River-James Philippe. Pas de suite en tout cas, puisque HBO vient d’annoncer la préparation d’une série dérivée de l’univers Conjuring. Si les Warren étaient davantage des escrocs que des sauveurs, ce qui est certain, c’est qu’ils ont fait fort dans la sauvegarde de leur héritage.

Cécile Fischer

Journaliste

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