Salade Grecque : Cédric Klapisch dresse le portrait d’une jeunesse en feu

Salade Grecque : Cédric Klapisch dresse le portrait d’une jeunesse en feu

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Dix ans après la sortie de Casse-tête chinois, le troisième volet de la saga débutée avec L’Auberge Espagnole, Cédric Klapisch relance son récit générationnel avec la série Salade Grecque. L’occasion d’observer la jeunesse actuelle et de la mettre en scène dans une comédie-dramatique marquée par un climat plus sombre et violent que celui de la trilogie originelle.

La fraicheur du concombre, des tomates, l’aigreur des olives et le piquant de la feta, oui, Salade Grecque porte bien son nom, alliant la douceur à l’amertume de toute une génération. Désireux de renouer avec la saga qui a fait son succès, Cédric Klapisch s’est donc replongé dans la vie de Xavier Rousseau, son emblématique personnage campé par Romain Duris, afin de raconter la société d’aujourd’hui. Mais à près de cinquante ans, ce dernier n’est plus le héros de l’histoire. Ce sont désormais ses enfants qui lui volent la vedette, entrant dans le tempêtueux monde de l’âge adulte avec force et éclat. 

Au fil de ses huit épisodes, la série suit donc les aventures de Tom (Aliocha Schneider) et Mia (Megan Northam), 26 et 21 ans, qui se voient confrontés à des problématiques difficiles au cours de leur expérience en Grèce. Le premier est parti à Athènes après avoir hérité d’une propriété à la mort de son grand-père, tandis que la seconde était déjà installée là-bas depuis quelque temps pour réaliser ses études en Erasmus. Toutefois, en arrivant sur place, Tom découvre que sa soeur se consacre à l’humanitaire et se dévoue corps et âme à l’accueil des migrants. C’est donc un univers nouveau qui s’ouvre à lui, loin de ses certitudes et de son confort new-yorkais. Une plongée brutale dans une autre réalité, qui va l’amener à remettre en question ses rêves d’avenir, mais également la personne qu’il veut devenir.

Une Europe submergée par la détresse…

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© 2023 Amazon Prime Video

Loin de la joyeuse ambiance européenne de l’Auberge Espagnole, où Anglais, Allemands, Danois, Français et Italiens s’amusaient de leurs différences et savouraient la mixité culturelle offerte par les séjours en Erasmus, Salade Grecque dépeint une tout autre Europe : plus triste, plus dure, plus violente. A Athènes, où Cédric Klapisch a décidé de poser sa caméra, ce ne sont pas les monuments historiques et autres antiquités qui sautent aux yeux, mais bien les camps de réfugiés, qui se multiplient à travers la ville. L’histoire ne se concentre donc pas sur des étudiants venus découvrir la vie à l’étranger, mais bien sur une jeunesse engagée et solidaire, s’impliquant avec conviction auprès de la population immigrée. 

Cet aspect de la génération actuelle, le réalisateur de 61 ans a souhaité le développer après avoir échangé avec son équipe de jeunes auteurs. « Au départ, je n’avais pas d’idées préconçues », nous a-t-il expliqué. « J’ai commencé à faire un casting de scénaristes qui avaient moins de 30 ans, j’en ai vu 15 et j’en ai retenu 5. Je leur ai demandé ce qui caractérisait leur génération selon eux et quels sujets leur tenaient à coeur. Ils m’ont tout de suite parlé des histoires de migration, de réfugiés, etc. Donc, j’ai fait confiance à ce qu’ils disaient. Je me suit dit : ‘Je mets cette série au service de ce que pensent les jeunes ». 

…avec Athènes comme coeur brisé

L’idée de tourner à Athènes s’est alors rapidement imposée à son esprit, la Grèce faisant partie des pays de première entrée les plus touchés par la crise majeure, qui a débuté au milieu des années 2010. « A partir du moment où l’on s’est dit que ce thème était important, on s’est dit : ‘Voilà, c’est en Grèce que c’est le plus intéressant’ », raconte le cinéaste. « On s’est renseigné aussi, on a rencontré une personne qui s’occupait des mineurs migrants et qui gérait une dizaine de foyers d’accueil. Ce sont des gens qui ont entre 10, 14, 15 ans et qui sont seuls dans la rue. Ce sont des problématiques dont on ne se rend pas compte, ce sont des problématiques très spéciales ». 

Par ailleurs, ce lieu chargé d’Histoire et de pensées donnait l’opportunité d’évoquer d’autres sujets essentiels de la géopolitique contemporaine au centre des doutes et inquiétudes de la jeunesse. « La Grèce est représentative des problèmes européens, des crises économiques et politiques. Il y a les migrants, mais également toutes les autres crises, qui ont été exacerbées là -bas », précise Lola Doillon, co-réalisatrice. Dans la série, ce ne sont pas les jolies parties de la ville qui sont mises en lumière, mais bien les quartiers plus modestes, dans lesquels on retrouve de nombreux bâtiments abandonnés après la crise économique. Ces immeubles insalubres sont alors au coeur du programme, Mia et ses amis s’en servant pour loger les réfugiés à moindre frais.

Construire son identité entre futur et passé

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© 2023 Amazon Prime Video

A 21 ans à peine, la jeune femme évolue ainsi dans un milieu brutal, où ses proches ont connu la guerre, la misère, la pauvreté. Consciente de ses privilèges qui lui ont permis de grandir dans le confort et la sécurité, la jeune femme tend alors à rejeter sa vie d’avant, se sentant coupable d’avoir pu avoir tant, quand d’autres n’ont rien. Pleine d’empathie et d’idéaux, elle fait alors tout son possible pour aider les autres, quitte à s’oublier elle-même. Une manière de se racheter envers ceux qu’elle estime avoir lésés en étant née dans un milieu aisé. Toute la question est là. Doit-on avoir honte de ses origines, lorsqu’elles ne correspondent plus à nos valeurs d’adultes ?

Les révolutionnaires contre les enfants perdus

Si la crise migratoire apparait comme toile de fond de Salade Grecque, la série cherche également à mettre en exergue différents traits caractéristiques de la jeunesse de maintenant, à commencer par cette dichotomie politique marquée au sein de la population. A travers ses deux héros, Cédric Klapisch met ainsi en opposition la gauche idéaliste et rebelle avec une Mia féroce et la droite capitaliste avec un Tom un peu perdu dans ses projets. De quoi forcer le dialogue entre deux réflexions opposées, qui sont pourtant contraintes de cohabiter.

« Ce qui est intéressant, c’est le couple du frère et de la soeur », souligne le réalisateur. « Ils fonctionnent beaucoup en électricité et c’est aussi parce que Mia a des certitudes, elle est beaucoup moins en doute que son frère. Elle a des certitudes gauchistes, humanitaires, elle a des grands idéaux sur le fait de sauver le monde et d’être du bon côté des choses, et lui se pose beaucoup de questions ». Les deux personnages se nourrissent d’ailleurs l’un l’autre, en faisant ressortir leurs craintes et autres interrogations intérieures. « Toute l’histoire repose beaucoup sur la manière dont ils se détestent, tout en s’aimant car ils sont frère et soeur ».

La famille comme ciment

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© 2023 Amazon Prime Video

Cette dimension familiale permet alors d’adoucir et d’apaiser un débat, qui suscite aujourd’hui des réactions de plus en plus rudes et extrêmes. « Quand on voit la politique d’aujourd’hui et ce qu’il se passe en ce moment, que ce soit avec les retraites ou les problèmes environnementaux, avec des gens qui se battent…Les combats sont violents actuellement entre les pensées contradictoires », note Cédric Klapisch. C’est pourquoi Salade Grecque vise à donner la parole aux deux camps, laissant les protagonistes s’exprimer pleinement sur leur vision de la société.

Il ne s’agit pas de prendre parti, mais plutôt d’offrir une représentation à chacun et ce, avec le recul nécessaire. « Il y a des couleurs, il y a des gens qui sont très radicaux, des gens qui sont très nuancés. Ce n’est pas simplement ‘on est de gauche, on est radical’. Même chose chez les startupeurs, Tom et Lily, sa copine, ne sont pas du tout pareils. C’est ça qui est intéressant dans une série. C’est qu’en multipliant les personnages, on n’a pas les bons et les méchants, on a une palette de personnages où il y a du bon et du méchant chez chacun ».

Une jeunesse active… 

Le bouillonnement culturel dans lequel ils se trouvent à Athènes va aider Tom et Mia à grandir, les mettant face à des problématiques qui sculptent aujourd’hui le monde de demain. Celui dans lequel ils vont vieillir. On remarque alors que les soucis de discrimination, plus criants dans les générations précédentes, ont été gommés peu à peu, avec ici, des jeunes qui apprennent à se connaître avec bienveillance. Dans Salade Grecque, les origines, ethnies ou identités sexuelles ne sont jamais source de conflit. Ces différences-là ont été acceptées et intégrées par ces jeunes, qui voulaient évoluer dans un monde plus tolérant dans lequel chacun trouverait sa place. 

En revanche, d’autres problèmes subsistent, politiques comme sociaux, conduisant les personnage à s’affronter, mais également à se battre pour faire bouger les choses. Inégalités sociales, violences faites aux femmes et réchauffement climatique sont désormais au centre des préoccupations. Les jeunes adultes ne profitent plus autant de la vie avec la naïveté et la candeur d’autrefois, il y a quelque chose de beaucoup plus sombre dans leur approche de l’existence.

et consciente du monde qui l’entoure

« Il y avait une inconscience dans les années 2000, qui n’est plus vraiment là », affirme Lola Doillon. « Il y a des problématiques qui poussent la jeunesse d’aujourd’hui à réagir, à réagir par rapport à tout ce qui se passe et par rapport à ce qu’elle doit changer maintenant. Effectivement, il y a une plus grande urgence, une plus grande conscience ». Un constat qu’établit également Cédric Klapisch, déconcerté par cette ambivalence : « Il y a toujours de l’insouciance et l’envie de légèreté, l’envie d’aller en boîte, mais avec une conscience de la réalité qui est plus forte. C’est ça qui est troublant chez cette génération ». Il semblerait alors que la tendance soit au chaos et aux eaux troubles, dans lesquels les jeunes doivent apprendre à nager sans trop s’abîmer. C’est donc avec une certaine tendresse et compassion que Cédric Klapisch dresse dans Salade Grecque le portrait de la jeunesse actuelle. Peinture en clair obscur d’une génération désenchantée.

Découvrez la série Salade Grecque dès ce vendredi 14 avril sur Amazon Prime Video.

 

Alexia Malige

Alexia Malige

Journaliste

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